Les maisons d’écrivains : La maison de Tante Léonie

Sur la route des vacances, entre Paris et Le Mans, en Eure-et-Loir, se trouve Illiers-Combray, une petite commune qui abrite la maison de Tante Léonie, enfin de Jules et Elisabeth Amiot, oncle et tante de Marcel Proust.

C’est ici, entre 1877 et 1880, que le futur écrivain a passé ses vacances entre six et neuf ans . Et c’est de ce décor qu’il s’est inspiré pour son œuvre « A la Recherche du Temps Perdu ».

Ici, comme dans tout le village, se mêlent la réalité et la fiction. C’est grâce à l’oeuvre de Proust que la commune a pris le nom de Combray en 1971 et la maison, léguée à la société des amis de Proust a été meublée selon les descriptions que l’auteur en a faites dans le roman.

« C’est ainsi que, pendant longtemps, quand, réveillé la nuit, je me ressouvenais de Combray, je n’en revis jamais que cette sorte de pan lumineux, découpé au milieu d’indistinctes ténèbres, pareil à ceux que l’embrasement d’un feu de bengale ou quelque projection électrique éclairent et sectionnent dans un édifice dont les autres parties restent plongées dans la nuit : à la base assez large, le petit salon, la salle à manger, l’amorce de l’allée obscure par où arriverait M. Swann, l’auteur inconscient de mes tristesses, le vestibule où je m’acheminais vers la première marche de l’escalier, si cruel à monter, qui constituait à lui seul le tronc fort étroit de cette pyramide irrégulière ; et, au faîte, ma chambre à coucher avec le petit couloir à porte vitrée pour l’entrée de maman ; en un mot, toujours vu à la même heure, isolé de tout ce qu’il pouvait y avoir autour, se détachant seul sur l’obscurité, le décor strictement nécessaire (comme celui qu’on voit indiqué en tête des vieilles pièces pour les représentations en province) au drame de mon déshabillage ; comme si Combray n’avait consisté qu’en deux étages reliés par un mince escalier et comme s’il n’y avait jamais été que sept heures du soir. À vrai dire, j’aurais pu répondre à qui m’eût interrogé que Combray comprenait encore autre chose et existait à d’autres heures. Mais comme ce que je m’en serais rappelé m’eût été fourni seulement par la mémoire volontaire, la mémoire de l’intelligence, et comme les renseignements qu’elle donne sur le passé ne conservent rien de lui, je n’aurais jamais eu envie de songer à ce reste de Combray. Tout cela était en réalité mort pour moi. « 

On respire encore l’odeur du parquet ciré et lorsqu’on monte à l’étage où se situent les chambres, on pense avec un pincement au coeur au petit garçon que l’on envoie dormir sans le baiser de sa maman.

« Je voulus embrasser maman, à cet instant on entendit la cloche du dîner. « Mais non, voyons, laisse ta mère, vous vous êtes assez dit bonsoir comme cela, ces manifestations sont ridicules. Allons, monte ! » Et il me fallut partir sans viatique ; il me fallut monter chaque marche de l’escalier, comme dit l’expression populaire, à « contre-cœur », montant contre mon cœur qui voulait retourner près de ma mère parce qu’elle ne lui avait pas, en m’embrassant, donné licence de me suivre. Cet escalier détesté où je m’engageais toujours si tristement, exhalait une odeur de vernis qui avait en quelque sorte absorbé, fixé, cette sorte particulière de chagrin que je ressentais chaque soir, et la rendait peut-être plus cruelle encore pour ma sensibilité parce que, sous cette forme olfactive, mon intelligence n’en pouvait plus prendre sa part.« 

C’est ici aussi que sa tante lui fit un jour découvrir cette fameuse madeleine qu’il dégustait le dimanche matin lorsqu’il allait la voir dans sa chambre, et qui fut ensuite le déclencheur de tous ses souvenirs.

« Et tout d’un coup le souvenir m’est apparu. Ce goût c’était celui du petit morceau de madeleine que le dimanche matin, à Combray (parce que ce jour-là je ne sortais pas avant l’heure de la messe), quand j’allais lui dire bonjour dans sa chambre, ma tante Léonie m’offrait après l’avoir trempé dans son infusion de thé ou de tilleul. La vue de la petite madeleine ne m’avait rien rappelé avant que je n’y eusse goûté ; peut-être parce que, en ayant souvent aperçu depuis, sans en manger, sur les tablettes des pâtissiers, leur image avait quitté ces jours de Combray pour se lier à d’autres plus récents ; peut-être parce que de ces souvenirs abandonnés si longtemps hors de la mémoire, rien ne survivait, tout s’était désagrégé ; les formes – et celle aussi du petit coquillage de pâtisserie, si grassement sensuel, sous son plissage sévère et dévot – s’étaient abolies, ou, ensommeillées, avaient perdu la force d’expansion qui leur eût permis de rejoindre la conscience. Mais, quand d’un passé ancien rien ne subsiste, après la mort des êtres, après la destruction des choses, seules, plus frêles mais plus vivaces, plus immatérielles, plus persistantes, plus fidèles, l’odeur et la saveur restent encore longtemps, comme des âmes, à se rappeler, à attendre, à espérer, sur la ruine de tout le reste, à porter sans fléchir, sur leur gouttelette presque impalpable, l’édifice immense du souvenir.»

Pour compléter cette plongée dans l’univers de Proust, ne manquez pas de vous promener dans le Pré Catelan, dessiné par Jules Amiot vers 1850.

Si je n’ai pas réussi à vous donner envie de vous replonger dans la lecture de la Recherche du Temps Perdu, j’espère au moins vous avoir convaincu de faire un crochet sur l’autoroute A11 pour faire cette très agréable visite.

La maison de Tante Léonie est ouverte de 14h15 à 17h tous les jours sauf le lundi.

Chantal cadoret

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